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[Informations nominatives] Publicité automatique des sanctions disciplinaires des personnels du Secteur Public : les recommandations de la CCIN.

Délibération n° 2024 – 72 du 20 mars 2024

La Commission de Contrôle des Informations Nominatives (ci-après « CCIN ») a été saisie de plusieurs plaintes émanant d’anciens fonctionnaires de l’État ayant été révoqués par Ordonnance Souveraine. Ces derniers s’estiment préjudiciés dans leur vie privée et familiale car ils apparaissent toujours, plusieurs années après, dans les recherches effectuées sur Internet à partir de leurs noms, que ce soit à partir du site Internet du Journal de Monaco, que des moteurs de recherche généralistes. Ils se trouvent également préjudiciés de manière imprescriptible dans leur recherche d’emploi.

La CCIN constate que la problématique concerne, plus largement, tous les personnels d’entités publiques ou relevant de régimes spéciaux dont les sanctions sont automatiquement publiées au Journal de Monaco, dès lors qu’elles atteignent un certain seuil de gravité. Outre sa publication au format papier, le Journal de Monaco dispose d’une version électronique qui est accessible sur un site Internet dédié consultable dans le monde entier. Celui-ci est doté d’un moteur de recherche permettant de retrouver tous les documents par mots-clés ou en tapant le nom d’une personne sans limitation de durée depuis la première publication. À partir de ce site, d’autres moteurs de recherche extraient les informations pour les référencer sur leurs propres sites, relayant ainsi l’information.

La CCIN relève que se pose alors un problème de conciliation entre la protection du droit au respect de la vie privée et familiale (article 22 de la Constitution) et la publicité en ligne des sanctions disciplinaires, qui constitue un traitement d’informations nominatives.

En application de l’article 2 de la loi n° 1.165 du 23 décembre 1993, modifiée, relative à la protection des informations nominatives, la CCIN formule plusieurs recommandations :

– d’une part, sur l’évolution des dispositions conduisant à publier automatiquement certaines sanctions disciplinaires des personnels du Secteur Public au Journal de Monaco ;

– et, d’autre part, sur la mise en œuvre du droit à l’oubli.

Une ingérence dans la vie privée et familiale. Plusieurs dispositions de la législation monégasque envisagent une publication automatique des sanctions disciplinaires, à partir d’un certain degré de gravité. Il en va notamment ainsi de l’article 53 de la loi n° 1.364 du 16 novembre 2009 portant statut de la magistrature, de l’article 42 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l’État ou encore de l’article 37 de la loi n° 1.096 du 7 août 1986 portant statut des fonctionnaires de la commune.

La CCIN constate que cette publication automatique constitue une ingérence dans le droit à la vie privée et familiale de la personne concernée en ce qu’elle rend publique la sanction disciplinaire prononcée à son encontre.

La publicité : une mesure autonome de la sanction. La CCIN estime, comme c’est le cas dans la législation en matière de protection des données ou pour d’autres Autorités administratives indépendantes, « que la publicité doit s’analyser comme une mesure autonome au sein d’une sanction, et qui ne devrait pas être automatique ».

Pour justifier sa position, la CCIN prend, d’abord, appui sur des éléments de droit comparé :

  • En France, l’article L. 533-4 du Code de la fonction publique dispose : « Dans la fonction publique de l’État et dans la fonction publique territoriale, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire peut décider, après avis du conseil de discipline, de rendre publics la décision portant sanction et ses motifs ». C’est à l’aune de cet article que le Tribunal de Marseille, dans une décision du 30 octobre 2023, a jugé que la publication de la reproduction non-anonymisée de la sanction d’exclusion temporaire méconnaît le principe de proportionnalité et de nécessité. Selon les juges, l’absence d’anonymisation porte tout à la fois atteinte à la vie privée et à la vie professionnelle du fonctionnaire, « constituant ainsi une seconde sanction s’ajoutant à celle de l’exclusion temporaire de fonctions » ;
  • En Suisse, le Tribunal fédéral du Tessin (décision 2D_8/2021) a jugé contraire à la Constitution une loi qui ne laisse aucune marge d’appréciation à l’Autorité compétente en raison de l’automatisme de publication des décisions. L’atteinte aux intérêts de la personne concernée a été considérée comme manifestement excessive par rapport à l’intérêt poursuivi par la publication de la sanction.

La CCIN précise, ensuite, que contrairement à ce qui a pu être évoqué par le Gouvernement monégasque, la publication de la sanction n’est pas nécessaire pour rendre la décision opposable à la personne concernée et aux tiers. S’il est légitime que le public puisse avoir connaissance qu’une personne n’appartient plus à l’administration, cet objectif n’est pas intrinsèquement lié à l’information d’une sanction, ni même à la nécessité d’une publication par Ordonnance souveraine, si d’autres moyens existent pour informer les administrés.

L’automaticité de la publication de la sanction n’apparaît donc pas proportionnée et porte atteinte au droit à la vie privée et familiale des personnes concernées. La Commission recommande une évolution de la législation monégasque afin que la publicité soit une sanction autonome non frappée d’automaticité.

Source du droit à l’oubli. Le droit à l’oubli n’est pas reconnu expressément par l’actuelle loi n° 1.165 précitée sur les informations nominatives. L’article 16 précise seulement que « la personne intéressée peut exiger que soient rectifiées, complétées, clarifiées, mises à jour ou supprimées les informations la concernant lorsqu’elles se sont révélées inexactes, incomplètes, équivoques, périmées ou si leur collecte, leur enregistrement, leur communication ou leur conservation est prohibé ».

Le droit à l’oubli est toutefois reconnu par la Cour européenne des droits de l’Homme chargée de veiller à l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, à laquelle la Principauté de Monaco est partie. Le droit à l’oubli s’applique aux condamnations pénales et doit trouver à s’appliquer aux sanctions disciplinaires.

Définition du droit à l’oubli. Le droit à l’oubli est rattaché au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention, qui inclut le droit au respect de la réputation. Il repose « sur l’intérêt d’une personne à faire effacer, modifier ou limiter l’accès à des informations passées qui affectent la perception actuelle de la personne. En cherchant à faire disparaître ces informations, les intéressés veulent éviter de se faire reprocher indéfiniment leurs actes ou déclarations publiques antérieures et cela dans des contextes variables, tels que, par l’exemple, l’embauche ou les relations d’affaires » (CrEDH, 4 juill. 2023, n°57292/16, Hurbain c/ Belgique).

Le droit à l’oubli permet d’obtenir la suppression d’informations nominatives lorsqu’il n’existe plus de raison légitime à les conserver, mais aussi de faire supprimer un ou plusieurs résultats fournis par un moteur de recherche à l’issue d’une requête effectuée à partir de l’identité (nom et prénom) d’une personne. On parle alors, dans cette seconde hypothèse, de droit au « déréférencement ».

La mise en balance du droit à l’oubli. Le droit à l’oubli n’est pas absolu. Il est conditionné à une mise en balance entre la protection de la vie privée des demandeurs, d’un côté, et le droit à l’information des internautes, de l’autre. Cet examen doit se faire à la lumière de différents critères que sont la nature de l’information archivée, le temps écoulé depuis les faits, la première publication et mise en ligne, la notoriété et la fonction de la personne, l’intérêt contemporain pour l’information contenue dans la publication, l’intérêt du public à accéder à cette information, les répercussions négatives de la permanence de l’information sur Internet et l’impact de la mesure de l’oubli.

L’absence de justification d’un référencement sans limitation de durée. Pour la CCIN, le fait de maintenir référencées/indexées sur le site Internet du Journal de Monaco les sanctions disciplinaires ne peut être considéré comme étant nécessaire à l’information du public. Ce maintien fait, selon la Commission, « perdurer les effets négatifs de la publication initiale sans limitation temporelle. Il fait bien souvent obstacle à une recherche d’emploi de la personne concernée et ainsi porte atteinte à sa réputation sans tenir compte de son comportement actuel ».

La CCIN souligne que le Haut-Commissariat à la protection des droits, des libertés et à la médiation a lui aussi formulé une recommandation : « les autorités procèdent le cas échéant, à l’issue d’un délai raisonnable, à l’anonymisation, à la limitation ou au déréférencement sur certains moteurs de recherche des décisions publiées en ligne, telles les révocations de fonctionnaires, dont la publication est susceptible de provoquer des effets disproportionnés dans le temps sur la vie professionnelle des personnes concernées et notamment sur leur capacité de retrouver un emploi ».

S’agissant des plaintes dont elle a été saisie, visées en préambule, la CCIN a demandé le déréférencement aux moteurs généralistes (notamment à Google) des Ordonnances souveraines concernées, lesquels ont refusé d’y donner suite au motif que celles-ci faisaient l’objet d’une « publication continue par une autorité administrative » et précisant qu’il convenait d’envoyer la demande de suppression directement à l’exploitation du site Internet, à savoir le Journal de Monaco, lequel peut désindexer/déréférencer ces Ordonnances souveraines. La CCIN précise avoir réalisé cette demande, sans succès.

Pour toutes ces raisons, la CCIN estime que :

  • Le droit à l’oubli doit pouvoir recevoir application en matière de publication au Journal de Monaco des Ordonnances souveraines portant révocation d’une fonctionnaire ;
  • Les Ordonnances souveraines portant révocation d’un fonctionnaire doivent faire l’objet d’un déréférencement (désindexation) du site Internet du Journal dans un délai maximum de deux ans après leur publication ;
  • Cette mesure de déréférencement (désindexation) doit être appliquée tant pour les Ordonnances Souveraines à venir que celles déjà publiées ;
  • La présente recommandation concerne également toutes les entités publiques pour lesquelles des mesures de sanction disciplinaire font l’objet d’une publication au Journal de Monaco.

La position de la CCIN sur les modalités de publication au Journal de Monaco des sanctions disciplinaires. Enfin, la CCIN recommande, pour les sanctions dont il aura été fait le choix de la publication, de ne plus les rendre indexables par les moteurs de recherche (et donc de recréer en ligne les conditions de consultation d’un journal officiel papier). Le Journal de Monaco numérique ne contiendrait ainsi que la sanction qu’au sein de la version PDF et ne se retrouverait pas dans la partie indexée consultable en ligne. Elle cite à ce titre l’article R. 221-16 du Code français des relations entre le public et l’administration qui dispose que « Outre les actes mentionnés à l’article R. 221-15, ne peuvent être publiés au Journal Officiel de la République française que dans des conditions garantissant qu’ils ne font pas l’objet d’une indexation par des moteurs de recherche : (…) 4° Les sanctions administratives et disciplinaires ».

Les équipes de ZABALDANO Avocats sont à votre disposition pour répondre à l’ensemble de vos interrogations.

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